Oraison funèbre Jacques-Marie Marciset [18 octobre 2020].
Jacques-Marie Marciset n’est plus, et je ne lui ai jamais dit ou écrit que je l’aimais. J’espère que les mots détournés par lesquels je lui exprimai mon affection et ma dévotion, ces dix dernières années, auront suffi à ce qu’il l’entende. Voici quelques uns de ces mots, rassemblés pour son dernier séjour.
La mort frappe chaque homme et chaque femme à sa manière, et chacun montre ce qu’il peut. Que ceux qui peuvent pleurer pleurent ; que ceux qui peuvent se souvenir se souviennent ; et que ceux qui peuvent écrire écrivent. Tous, nous ressentons l’absence et tous, nous devons endurer le silence de celui qui, si longtemps, fut tout autour de nous. Il existe de nombreuses traditions poétiques pour exprimer toutes les façons possibles de traverser ce qui constitue l’épreuve de cette disparition ; et beaucoup des plus rationnels parmi tous les types d'esprits du monde vacillent dans leurs certitudes à ce seuil terrible et sacré. Depuis longtemps, pourtant, nous célébrons nos morts et nous souvenons de tout ce qu’ils ont accomplis, rendant ainsi hommage par-delà tout mystère, et nous dansons dans toute la vie que nous a donné celui qui n’est plus.
Qu’a connu grand-père ? Qu’a-t-il choisi de faire de son existence ? Qu’a-t-il espéré ? Qui peut répondre complètement à ces questions connaît grand-père et le sens qui a conduit sa vie. Pour ma part, je ne peux pas répondre à ces questions et il m’a toujours fallu me contenter, depuis que je suis adulte, d’interpréter ce que je pressentais de la signification de certains de ses regards. Ses énoncés, en revanche, m’ont toujours parus très clairs. Jacques était un homme élégant et une bonté prudente a toujours, m’a-t-il paru, dirigé ses choix et sa vie. Dire que je suis fier d’être son petit-fils serait un euphémisme : être son petit-fils a participé aux conditions de mon devenir. Qu’il se soit agit de modèles mythiques pour l’enfant que j’étais, de refuges dans l’aura que ses discours donnaient à notre nom de famille lorsque j’étais adolescent, ou encore des déjeuners et des conversations que nous avons pu avoir ces six ou sept dernières années, le regard de grand-père a toujours participé activement aux choix qui furent les miens. Comment ne pas éprouver pour lui la plus grande gratitude?
Pour reprendre les mots d’un grand spécialiste de Bossuet : « Qu’allons-nous devenir, privés d’un tel soutien ? » Je ne crois pas que nous soyons jamais privés de ceux que nous aimons. Je ne crois pas non plus que ce soit une métaphore d’écrire qu’il est toujours là, en nous tous, et qu’il le restera tant que nous agirons en conformité avec ce qu’il a été, ou, du moins, avec ce que nous avons compris de ce qu’il était, et de ce qu’il nous a donné à vivre et à connaître, à faire et à espérer. Il restera pour ma part gravé sur mon horizon, et je ne doute pas qu’il demeurât présent dans celui de beaucoup d’entre nous, sinon même tous. Le 19 septembre, il m’écrivait que sa vie était stable et continue, et qu’il savait que cela durerait jusqu’à « l’incident (ou accident), redouté, qui interrompra ce processus ». Ayant tenu son immortalité pour acquise, je tardai à lui répondre, et je regrette d’avoir tardé car j’aurais voulu écrire, et lui écrire encore, que je pense à lui chaque jour, et son décès n’a rien changé à ça.
Pierre-Adrien Marciset
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