Quelle étrange et silencieuse jouissance

Quelle étrange et silencieuse jouissance : écrire, ciseler paisiblement, et sentir le gourd remous du sommeil qui va et vient — mais qui va tout recouvrir. La musique, les chansons de mon adolescence et de mes années passées. Toutes les histoires dont elles furent la vie. Je passe en elles comme au travers de lourdes vagues — qui me recouvrent et passent, puis s’en vont en ne laissant en guise d’odeur iodée qu’une calme mélancolie. Pour rien au monde je ne voudrais, dans ces moments là d’écriture exquise, ne pas être fait du millier de fragments que j’appelle mon « visage ».

La force profonde qu’il faut pour écrire, comme ça. Indolent, indolent à soi-même et méditatif par-delà l’acte d’écrire — de la philosophie, de la poésie, de l’érotisme — de la vie. Je sens bien comme est sacré mon lien au sublime, mon propre instinct de l’infinité. Je lui souris, qu’elle existe ou non. Elle me fait fondre en larmes quand je l’imagine, dans la forme qu’elle prendra pour mes fils, revêtir des appâts terribles et implacables. Je n’existe que pour chanter où mes fils tremblent de peur sous l’orage. Leur sourire, grimacer pour les faire rire et convertir toute leur frayeur en tout cette force que j’ai en moi pour la leur donner. C’est pour eux que j’écris cette philosophie. Je veux qu’ils y trouvent les entêtements de leur liberté. 

 

Je sens ma fatigue comme une eau qui lave les plaies. Salée. Mordante. Toute dense d’un million de frissons qui rongent et qui, quand l’eau se retire, emporte avec elle toute lassitude et toute fatuité.

Ô sommeil qui depuis toujours m’exacerbe l’âme. Toi qui me fuis tant de nuits durant, toi que je ne poursuis même plus, je t’attends, un peu moqueur et je vois bien l’ironie de tes tours. Je reste là dans la flaque, où la marée remontante viendra me prendre — et m’emporter.

Je pousse à l’écriture car sombrer indéfiniment est d’une infinie volupté. À quoi bon résister ?