Méditation non-cartésienne n°1
Demandons-nous, peut-être, ce que vaut l’infini — ce qu’il vaut et ce qu’il menace. Dès lors pourrons-nous décider si la menace vaut bien la peine d’être endurée. Nous devrions débuter ainsi, avant même de choisir si l’infini est partie de nous, en tant que nous nous y promettons nécessairement, ou s’il est tout ce que nous pouvons être, en tant que nous pourrions nous anéantir en lui. Avant même de nous demander ce qu’il est, car la tâche est trop grande, demandons-nous, je crois, ce qu’il vaut et ce qu’il contient. Nous pouvons difficilement nier son existence en nous, son ancrage, ce que d’aucuns philosophiques ont appelé être jeté sur le chemin (de l’existence), sans autres repères que ceux que nous nous façonnons à la patience de nos blessures. D’autres ont parlé de la métaphore marine — le « vous êtes embarqué » pascalien, si précieux à Blumenberg — et là encore il est question d’une trajectoire. Peu importe qu’il s’agisse de viser un point de chute ou d’arpenter en tout sens ce qui nous est accessible, avec ou sans point de chute, ce qui importe en revanche, je crois, c’est bien que nous foulions les lignes horizontales, que nous soyons.
Alors peut-on se demander ce qu’est, ou ce que serait, que la nature humaine ? Un cheminement ? Une traversée en navire ? L'un et l’autre, cumulativement ? Nous interrogeant de la sorte, sommes-nous intéressés par ce que nous sommes ou demeurons-nous dans la couche antérieure, où nous tâchons de comprendre nos rivets et nos liens ? Qu’est-ce que la nature humaine ? Là encore, des philosophes fameux ont déjà pensé la question — une goutte finie dans l’océan d’infini. La poésie s’en est également beaucoup saisi — la mystique, la religion, les théologies, toutes les ramifications humaines se sont préoccupé de cela.
La nature humaine — est-ce autre chose que le tâtonnement ? Pouvons-nous faire mieux que de progresser dans la forêt (celle-là même en l’accident de laquelle Alice rencontra le chat de Cheshire, énigmatique parmi les chat, songe parmi les branches dont il ne reste plus que le sourire et le goût pour les énigmes) ? Touchant maladroitement tel tronc, écorchant nos doigts sur telle épine, affermissant notre prise sur telle branche, que saisissons-nous de réel ? Qu’est-ce que le réel ? Notre imaginaire — infini — ou nos sens — finis ? Sommes-nous autre chose que ce contre quoi nous sommes bornés ?
Notre progression a-t-elle vraiment besoin d'un but ? Se souvient-on de nos pas, se souvient-on de ce que nous avons été tandis que nous heurtions nos genoux dans cet entrelacs que nous appelons « forêt » (ou existence, peu importe) ? Alors, oui, l’idée, si solution il peut y avoir, serait de nous dire que nous sommes la forêt (ou l’existence) et que nous creusons l’infini de ce que nous ne sommes pas encore au profit de ce que nous achevons, de ce que nous posons comme dé-fini-tude (ou définition). Tout cela serait en nous et nous nous explorons à mesure que nous cheminons. De la sorte, et de la sorte uniquement, nos pas-mots, les pas que nous faisons et les mots que nous posons, sont des traces de finitude dans l’immensité infinie de ce que nous devenons. N’est-ce pas encourageant de nous dire que nous devenons ce que nous faisons ?
Je n’ai pas tant que ça répondu à la question de ce que vaut l’infini. Mais pourrait-on sérieusement prétendre y répondre ?
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