Pourquoi sommes-nous tous misogynes ?

Je ne prétends ni expliquer ici, ni encore moins excuser, l'attitude meurtrière des hommes, ni justifier la possibilité systémique et systématique des féminicides, des violences conjugales, des viols et de toutes les autres formes de maltraitances, sexuelles ou non, dont les femmes sont objectivement les victimes. La visibilité des crimes est une étape nécessaire et qui doit devenir la norme, implacablement, que le bourreau, le prédateur, l'homme responsable, ait été ou non un allié. Quelles que soient ses intentions. 


Ceci étant écrit, après avoir été pesé et sans imaginer que je fasse exception, je me demandais comment il était possible que les femmes soient à ce point encensées dans les mythes masculins. Ces mythes dont on prétend qu'ils sont « humains » et qui, dès lors qu'il est question d'une femme, deviennent les parangons d'une importance dont les femmes sont pourtant toujours privées. Ces mythes qui saturent l'espace culturel, dans l'histoire des hommes, du plus canonique et du plus respecté, jusqu'aux formes les plus récentes ou les plus subversives. Que l'on songe à la chanson d'amour contemporaine, dans laquelle, par exemple, un homme poursuit une femme en lui demandant pardon. Que l'on songe à la littérature romantique, que j'affectionne beaucoup mais qui, pourtant, répète ce modèle.


Ainsi, pourquoi, nous les hommes, avons-nous besoin d'adorer dans nos mots, dans nos récits, dans nos imaginaires, celles-là même que nous anéantissons sous nos coups, qu'ils soient physiques, psychologiques, politiques ou moraux ? Pourquoi haïssons-nous les femmes dont nous passons pourtant notre histoire à dire que nous ne saurions vivre sans elles ? Avons-nous peur de nos seules égales sur Terre, de sorte que nous brutalisons continuellement les seules qui pourraient menacer notre hégémonie spéciste ? Bien sûr, nous ne saurions vivre sans elles : elles portent organiquement la génération suivante.


Est-ce parce que nous vérifions, dès que la possibilité leur est donnée, qu'elles font preuve de préexcellence en tout ce que nous faisons ou en tout ce que nous voulons faire ? Ainsi, nous leur fermons toutes les portes, afin d'être bien sûrs qu'elles ne puissent jamais nous dominer socialement ? Est-ce parce que nous savons que, tout à fait factuellement, dans le monde dense des évidences quotidiennes, nous ne pourrions véritablement pas vivre sans elles ? Les femmes ne sont-elles pas les esclaves dont nous prétendons que nous avons fait disparaître la nécessité de nos horizons politiques, mais sans lesquels nous nous éteindrions ? Sommes-nous si lamentablement simples, n'est-ce qu'une affaire de rapport de force, alors que nous savons que nous perdrions le combat en un temps record ?


L'inspiration de cette réflexion un peu confuse mais, je crois, très claire dans la signification qui s'en dégage, provient d'une chanson anglaise des années 2000, dans laquelle un homme pleurniche. Certes la chanson est très connue, passée pour être un classique, mais, sur le fond : il s'agit d'un homme qui pleurniche parce qu'il a fait du mal à une femme et que cette femme est partie. Réaction somme toute assez logique. N'importe quel individu libre, de n'importe quelle espèce vivante, agirait exactement de la même façon, et personne ne pourrait juger une telle réaction malsaine ou toxique. C'est même l'inverse : on estime que l'homme serait toxique. Bon. 


Cependant les hommes ne comprennent pas que leur toxicité puisse susciter une réaction de rejet (c'est le mantra derrière le pathétique et pleurnichard « not all men »). Sur une photographie prise lors des manifestations de soutien à Gisèle Pélicot, je lisais un slogan disant « Estimez-vous heureux que nous demandions l'égalité plutôt que la vengeance ». Non seulement je trouve cela vrai — franchement, les gars, il faudrait se réveiller, là, on est chanceux — mais en plus, et surtout, je trouve que c'est une erreur. Elles devraient demander la vengeance — où la misandrie est donc une nécessité, un mode de survie, un impératif moral que toute jeune femme devrait très vite intégrer pour se construire.


Nous sommes misogynes à titre d'individus et nous sommes misogyne à l'échelle du système social et politique. Nous livrons une guerre impitoyable et haineuse aux femmes et nous poussons des cris d’orfraie quand, alors que nous les piétinons, les tuons, les violons, elles préfèrent croiser un ours plutôt qu'un homme en forêt. Je ne suis pas moi-même sûr de préférer rencontrer un homme plutôt qu'un ours en forêt. Nous sommes des êtres abjects. Il ne s'agit pas de se complaire dans la haine des hommes, quand on est un homme, mais il s'agit, simplement, de comprendre les femmes et de les soutenir lorsqu'elles expriment ce désespoir et cette rage qui commencent à déborder de partout, notamment en France. Nous sommes misogynes.

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