Voilà un texte dont je préserve la qualité de premier jet.

J'ignore, au fond, ce qui m'anime et tressaille en moi, de sorte que, quand bien même j'organise l’entièreté de mon existence autour des actes nécessaires à cette vigilance existentiale dont il semblerait de bon sens de penser qu'elle anime tout·e philosophe, je puisse être surpris quand il arrive, comme depuis la fin de l'après-midi, qu'une nervosité urticante m'anime et vient m'agacer par son entêtement à me piquer au visage. J'en deviens fermé à mes enfants, irascible, tendu, et même indisponible à toute forme de plaisir — et j'en viens à songer au jeûne quand je me disais que j'avais besoin de manger, ce soir. Le problème, lorsque l'on cherche les causes a posteriori de la manifestation de sa phénoménalité (ici l'agacement et le rejet de choses dont, ordinairement, je recherche la pratique), c'est que l'on entre instantanément dans un principe d'historicisation homogénéisante, sans aucune méthode. Dès lors en vient-on à se trouver des excuses, à défaut de comprendre ce qui ne va pas et d'espérer, peut-être, y remédier ou compenser la factivité véritable de notre humeur. Ce faisant cesse-t-on d'examiner l'être de notre soi pour ce qu'il est (ou serait) et trébuche-t-on sur le fonds des vécus de la conscience, et on la ménage, elle, en l'arrangeant, lui. Par exemple, je vais me dire — aussi nécessairement que c'est parfaitement faux, et je le sais, à moins que je ne veuille pleurnicher — que l'anniversaire de mon père étant advenu quelques jours plus tôt, quatre pour être exact, il est tout à fait admissible que je sois tendu et crispé sur des attentes insaisissables. Il n'en est, bien évidemment, rien. Enfin, j'imagine que le soixante-et-onzième anniversaire de feu mon père a fait des ronds dans l'eau de mon calme intérieur, mais il faut y trouver la justification de cette espèce de frénésie d'arbres généalogiques depuis quelques jours plutôt que tout autre chose. 

 

Je suis surtout dans l'attente de deux articles qui, s'ils étaient acceptés, signifieraient deux choses importantes. Une première : lorsque j'écris un article, il est accepté. Le nombre serait par eux porté à sept. Sept articles acceptés sans discontinuité — et pour ce glorieux bilan je mets de côté mon article sur l'intrasubjectivité parce que son époque d'écriture remonte à juillet 2024 et j'ai prodigieusement avancé depuis. Or je sais que j'avais sur l'objet un regard qui était certes naïf et empressé. Je suis donc ravi de pouvoir le reprendre et ce même si je recule en me trouvant d'autres activités plus urgentes depuis deux mois et demi, maintenant — or, de fait, j'ai effectivement des activités plus urgentes. Mon CV finira par en témoigner tôt ou tard. Une seconde chose importante : je suis dans un tournant pleinement assumé de ce que je commence à identifier comme ma façon véritable de faire de la philosophie. Je comprends désormais parfaitement en quoi je suis intellectuellement le disciple de Blumenberg — lui qui marche bien loin devant, dans des nuits qu'anime l'énigme léonine de la figure totémique invoqué par Sibylle Lewitscharoff. Je ne suis pas l'un de ces quatre étudiants brillants puisqu'il me faut beaucoup plus de temps, de relectures et de pas à pas de la pensée, pour comprendre ce que d'autres comprennent sans aide. Mais j'ai le sentiment de vivre depuis dix ans auprès de Blumenberg qui travaille sur son magnétophone, dans son bureau.

 

Mais il est insupportable d'attendre car je sais que je n'aurais de réponse pour 'aucun des deux avant la fin de l'été de cette année. Le plan de bataille est déjà tout prêt pour trois autres articles à rendre d'ici le 30 juillet, et ils vont m'occuper. C'est quand les pales du moulin tournent à vide que je suis agacé. Voyons comme je suis, parce que je me pose à plat sur l'écran de la page numérique vide, maintenant disponible à la compréhension de ce qui me rend si nerveux et, disons-le, désagréable à mon foyer. Il ne s'agit pas de l'anniversaire de mon père tant aimé trop tôt disparu. Il s'agit d'une attente qui m'agace et que je ne supporte pas, comme je n'ai jamais supporté, du reste, la tension de l'attente une fois que j'ai accompli tout ce que je pouvais accomplir — comme il faut aussi bien entendre que je ne suis pas habitué à ce que l'issue de mes attentes soit heureuse dans le monde universitaire. J'ai même fais de l'expérience inverse le contenu de mon invincibilité. Peut-être aussi suis-je anxieux parce que la série d'acceptations de mes articles, sur des objets qui me sont en outre très chers, et dont je suis satisfait de parvenir — enfin — à les traiter dans un registre académique qui soit transmissible à l'intersubjectivité universitaire. Je suis « jeune » (on s'entend : pour un universitaire non agrégé) et je commence à peine à trouver mon style, et ma singularité pédagogique mais j'ai souffert de ne pas ressembler à des Alexander Schnell, des Nathalie Depraz et autres Renaud Barbaras ou Augustin Dumont. Des gens illustres qui ont un style d'une précision qui me tétanise quand je m'y essaie.

 

Mais, simultanément, ces gens-là, admirables et dont les propos sont toujours d'un invincible intérêt, me paraissent faire retour vers l'usage esthétique — littéraire ou cinématographique — de leurs théories majestueuses, soit dans l'intime soit dans l'académique. Or j'ai commencé par là. Cela ne signifie pas que je me pense romancier plus authentique, ni spécialiste de poétique et d'herméneutique (ce qui est, je crois, mon style académique, entre formes symbolique, conscience pure, conscience mondaine et tout ce qui relève des différents processus de l'ontogénèse, qu'il s'agisse du régime logico-formel ou qu'il s'agisse du régime esthético-formel des facultés synthétiques a priori de l'entendement, au travers de l'étude des phénomènes culturels, spécifiquement écrits, qu'ils fussent filmés ou imprimés), mais qu'ils viennent sur un terrain où je peux voir ce que m'a déjà apporté mon expérience obsessionnelle. J'ai passé des centaines, sans doute des milliers, et peut-être plus encore, à écrire, seul, dans la solitude de mon anonymat, de sorte que lorsque je me mets à écrire, tout vient si naturellement et je peux moduler mon style selon mon humeur — sensuel, intellectuel, tendre, brutal, peu importe : je danse vraiment dans l'esprit et je sais quel effet je fais à toute personne qui me lit. Il reste la question de savoir si une telle personnalité qui se donne en toute transparence plaît ou non mais, cela, cela fait longtemps que ça n'est plus mon affaire. Je ne sais pas s'il est possible, en définitive, de dissocier mon —je vais parler heideggerien — écrire de mon philosopher. Ils sont nécessairement liés puisque l'un est le sens de mon aspiration à la subjectivité exprimant la dimension mondaine de ma conscience, quand l'autre est au contraire mon ambition à l'intersubjectivable de ce qui serait, ultimement, ce que l'on entend par l'idée de conscience pure, cette espèce de mêmeté fondamentale qui persévérerait depuis que je suis né et qui ne sait qu'évoluer sans jamais s'altérer. Existe-t-elle ou bien est-elle l'horizon d'une métaphore qui viserait le sens (l'essence) de ce que signifie qu'être Pierre-Adrien Marciset ?

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