Extrait de mes Carnets, retravaillé lors de la copie numérique.
Le mois de juillet aura été sanglant. Je ne peux pas dire que j'ai rompu avec mes deux petites sœurs car la plupart des éléments, dans la relation, était unilatérale. B., que j'adore pourtant, est d'un égocentrisme désarmant et il est impossible de nommer les choses sans se trouver face à une herse agressive. De là, je ne nomme rien et, hier soir, face à un énième acte de ce genre, je suis parti, les invitant, en réponse à un message de B., à rentrer chez elleux. Le monde entier ne tourne — et ne doit tourner — qu'autour de B. qui régente tout, décide tout, établit tout — une seconde M. Je sais bien que nous avons toustes des choses à régler avec nous-mêmes, mais l'espace familial était inexistant et il n'y avait aucune recherche d'une vie collective : iels étaient à côté et ne s'intéressaient pas à ce qui concerne leurs neveux (le fameux énième acte d'hier soir était : avoir ramené à manger de l'extérieur, pour elleux, sans nous avoir consulté ; si Camille et moi nous en fichons, Mérovée n'a pas mangé, hier, et il n'était pas compté par ses tantes dans le fait d'avoir ramené à manger de dehors).
En outre, je n'ai aucune place dans leur relation. Mais avec un peu de recul, c'était déjà le cas depuis longtemps et il ne s'agit pour moi que d'acter émotionnellement un état de fait contre lequel il est abscons de vouloir se dresser. Leurs existences sont tracées et il est réjouissant qu'elles soient parvenues à construire un équilibre. Mais je ne constitue pas une partie de cet équilibre, et mes enfants encore moins, même pas par dérivation — bien moins, en tout cas, que son amie C., amie de B., qui va recevoir un cadeau venu de l'Empereur, et dont la recherche a justifié que M. reçoive de la part de ses deux tantes et du compagnon de l'une d'elles, deux cartes postales et un élastique. Aller dans un autre magasin était manifestement impensable, une fois qu'était constatée l'indigence de ce que l'on peut trouver à l'Empereur pour un petit garçon de huit ans. C'est un exemple. Le séjour en a montré entre vingt et trente-cinq.
Je n'ai pas grand chose à reprocher à P., si ce n'est qu'elle permet, par l'aveuglement de sa loyauté, pas nécessairement de bonne foi, à B. de se comporter ainsi. Exactement comme le couple J.M.-A. La même indifférence à ce qui se trouve en-dehors de leur relation. Bon. J'ai déjà donné avec la première génération et je ne suis plus à un deuil près. Les gens qui reproduisent sans la moindre introspection ne peuvent pas m'intéresser longtemps. Je ne m'y attendais pas du tout car c'était très différent en 2023, et même chez ma mère — sans R., le compagnon de B., qui est un garçon très gentil, et tout à fait digne d'intérêt mais qui, de facto, est assujettit à B. et participe du rôle central qu'elle se donne. Les choses étaient alors plus gérables (quoique déjà très tendues). Les absences répétées de vingt minutes à une heure une fois toutes les deux heures de temps pour sortir la chienne (motif plus que légitime) m'ont rappelé les soirées à fragmentations lors des moments familiaux, durant lesquelles les « grand·e·s » médisaient de tout le monde à messes semi-basses, en prenant leur revanche sur les adultes, et en commentant, du reste, le déroulé de l'événement ou du moment, selon les désidératas de J.-M., décrétant les rythmes (et, ici, dans le cas d'un énième acte) à son bon-vouloir. Je n'ai pas rejeté le modèle égocentrique des plus grand·e·s pour tolérer ça dans ce que je pensais être la fratrie où j'avais une place. Je n'en ai pas/plus.
Le small-talk et les commentaires de comptoir ne m'ont jamais intéressé : outre chez ma mère, où je me suis rendu disponible au péril de mes poumons (mes sœurs rallongent les soirées au travers d'interminables « pauses clopes » et je suppose qu'il y a là un pattern visant à se rapprocher de ma mère, immense fumeuse devant l'Éternel) les seuls conversations sincères que j'ai pu avoir, c'est avec P. qu'elles ont eu lieu, lorsque R. et B. ont célébré leur septième anniversaire. Se pointer hyper tard pratiquement tous les jours, manger de l'autre côté du parc en un endroit qui n'exigerait que vingt minutes de marche de leur neveu, sans nous proposer de l'y amener avec elles... impensable pour moi. Imprévisible, aussi, et chaque jour avait son lot de nouveaux impensés. Je ne fais pas un réquisitoire — même si, comme toujours, écrire me permet d'avancer — car si je n'ai rien dit pendant quatre ou cinq jours, c'est précisément parce que je me tiens formellement (dans ma constitution même) hors du conflit. J'ai simplement acté que je ne fais pas partie de cette cellule et il est sain que je le réalise et cesse de m'y projeter. Chez ma mère, l'épisode des vannes sur notre végétarisme aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Je respecte pleinement leurs choix.
L'excès sémantique écœurant dont maman est entourée me dégoûte, avec une dimension, sur le plan lexical, quasi-incestueuse. Là non plus, ce n'est pas mon monde et je m'en sens exclu. J'ai pu constater que leur désolidarisation lors de l'épisode de la dispersion des cendres de mon père reposait en fait sur un fondement fort simple : nous ne constituons pas une entité, pas plus que nous ne sommes une communauté affective. Bien. Je les laisse donc à leur monde, dans lequel je n'ai pas de place — et je comprends mieux pourquoi venir ne serait-ce qu'une semaine au Canada n'a jamais été envisageable (trop compliqué) en six ans. Je ne suis pas ce que je pensais être pour elle — un frère participant des conditions de leur Lebenswelt.
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