Mérovée et la peur de l'orage - réflexion sur les chemins qui mènent de l'anxiété à la coercition exercée par l'ego.
Il va sans dire que nous sommes là pour conjurer la peur de l'orage de nos enfants. Je l'écrivais ailleurs, peut-être même sur l'un des billets de ce blog personnel. Nous ne sommes pas ici, parents, pour jubiler d'incarner le sens de cette peur, en nous flattant de pouvoir tonner sur les pauvres têtes et sur les pauvres nuques de nos enfants qui se ramassent physiquement face aux cris des adultes. Nous ne tirons aucune satisfaction à jouir d'un rapport de force qui pèse nécessairement en leur défaveur. D'ailleurs, chaque tonnerre est un échec pédagogique et un malentendu affectif. Nous ne sommes pas, avec nos enfants, dans une relation BDSM. D'ailleurs (c'est-là le mot expérimental fétiche du moment pour Aurélien : « d'ailleurs »), les adultes crient afin que les enfants prennent moins d'espace — physique, vocal, nerveux — afin que les enfants se rétrécissent et laissent plus de volume aux parents qui n'en peuvent plus. Ils tonnent pour conjurer le chaos et imposer l'ordre dans leur saturation sensorielle. Saturation qui est pourtant le bouillonnement normal de la vitalité de nos enfants qui se déploient dans le champ des espaces laissés libres, et c'est ainsi qu'ils croissent. Je ne vois pas bien comment je pourrais ne pas avoir honte d'incarner la peur de l'orage, je ne vois pas de quelle façon je pourrais ne pas déplorer de la contenir — ou alors, seulement dans l'idée grâce à laquelle ils savent que si les parents ne dispensent pas le tonnerre, c'est qu'ils sont en sécurité et, dès lors, comme le tonnerre ne vient jamais, c'est que leur petit monde « poussinesque » fonctionne. Piou-piou-piou-piou-piou ! Mais enfin s'agirait-il là d'une situation tout à fait détestable et je préférerais qu'ils oublient que l'orage puisse exister dans l'enceinte de leur foyer.
Nous couchons nos enfants et nous les levons, nous vivons une seconde vie dans ce laps de temps. À leurs yeux, qui sait, nous avons peut-être partie liée avec le lever et avec le coucher du soleil, aux étapes du cycle du monde et à l'homogénéité de sa continuité dans le temps. Nous sommes peut-être responsables des derniers pas du ciel, juste avant qu'il ne bascule et ne sombre dans les ténèbres paisibles des veilles à lire. Peut-être, on ne sait pas, peut-être qu'en leur temps nos parents ont chaque soir appuyé sur la toupie du globe afin qu'elle continue de tourner, et celles et ceux qui sont passé·e·s avant nous ont peut-être garanti que le monde soit monde avant que nous ne puissions en avoir la moindre conscience. Car, au fond, qu'est-ce qu'avoir conscience ? Que signifie que de prendre le relais des responsabilités qui nous tombent dessus lorsque nous préparons le premier White Christmas (et quand tous les suivants évoluent depuis son premier format mais ne s'égarent pas trop loin du premier modèle), lorsque nous transmettons nos traditions, les secrets de nos mystères, et la joie qui étincelle dans l'œil de notre enfant, même si celui-ci se montre grognon, inquiet ou préfère saborder la fête pour garder le contrôle sur toute nouveauté qui l'effraie.
Mérovée nous disait, en prévision de la veillée de Noël (quinze jours avant, donc) et du lendemain plein de cadeaux, qu'il ressent déjà qu'il voudra nous faire de la peine mais qu'il ne comprend pas pourquoi et que cela s'impose à lui, sans qu'il ne puisse échapper à l'injonction qui le tend de l'intérieur, et dont il ne peut pas fuir la tyrannie émotionnelle qui déjà s'exerce sur lui. C'est là, en lui, il sent que quelque chose lui commande de nous faire de la peine. Nous faire de la peine est un mécanisme facile à exécuter, contrôlable, et dont il sait même à l'avance ce que cela va susciter et justifier.
Je lui expliquai que faire de la peine lui donnait le contrôle et que l'angoisse déteste ne pas avoir le contrôle. À la suite de son annonce, nous discutions donc et je lui disais qu'il était parfaitement normal qu'il sache déjà qu'il va pirater le moment des cadeaux car son émotivité est incapable de gérer par anticipation le risque de recevoir un trop grand nombre de surprises réjouissantes. Ergo, il va probablement faire la tête, exprimer une déception, chercher le conflit (comme le rapportait tendrement Aurélien, dans son parler franco-québécois « Grand-frère et moi, on s'est un peu chicanés ») et attendre que nous tonnions. Tant qu'il n'aura pas obtenu le tonnerre, il ira plus loin. Car le tonnerre tel qu'il frappe alors qu'on est mesure de l'attendre et de savoir quel sera son socle de frappe. Parents, il nous faudra donc rire et désarçonner ce à quoi s'attend son anxiété (réussir à anticiper) en lui montrant qu(il existe des façons d'anticiper qui sont bien plus efficaces. Autrement dit, nous devons enseigner à son anxiété, qui agit comme des lignes de brisures et d'incertitudes ontiques en lui (déjà...!) que sa technique ne fonctionne pas. Nous devrons lui montrer qu'il existe une autre voie pour prendre le contrôle et permettre à Mérovée qu'il ait le contrôle de la vérifiabilité de son anticipation s'il se réjouit librement, sans distance à l'événement de son émotivité, sans chercher à contourner la performance de signification que représente cette fête de Noël. Il est très jeune, et je peux encore l'aider, sa mère aussi, un professionnel aussi, à ne pas prendre l'habitude d'être tortueux pour compenser son anxiété.
Sa capacité à verbaliser ses émotions et son recul sur un agir qu'il ne comprend pas et qui s'éloigne de ce qui lui semblerait logique et harmonieux sont tout à fait prodigieux et nous dote d'outils pour l'accompagner dans le déminage de ce que voudrait lui commander de faire son anxiété (qui se calcifie peu à peu en ego, ce que j'appelle hermine avec Jade, mais serait un raton avec Mérovée, figure de rongeur qui le rassure) en prétendant de la sorte le protéger et lui garantir la sécurité loin des surprises qui le terrifient — le non-anticipable n'est-il pas ce qui secoue et bouscule dans la peur de l'orage ?
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